C'est en 1890 que le Suisse Ferdinand Hurter et l'Anglais Vero Charles Driffield mirent au point les bases de la sensitométrie, introduisant une réponse scientifique à la relation exposition-noircissement. En 1939, après les travaux de Rockwell et Davenport, Ansel Adams et Fred Archer mirent au point le Zone System pour l'enseignement de la photographie. De nombreux adeptes du Zone System l'ont modifié depuis. Dans le Zone System il est défini 10 (±1) gris qui correspondent à des différences d'1 IL, et caractérisés par une série de termes qu'il convient de rappeler ici :
Zone 0 | Zone I | Zone II | Zone III | Zone IV | Zone V | Zone VI | Zone VII | Zone VIII | Zone IX |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Noir total. | Gris très sombre sans texture. | Gris très sombre avec de légères traces de texture. | Gris foncé où la texture est visible. | Gris soutenu laissant apparaître toutes les matières. | Gris moyen. | Peau d'un européen. | Gris très clair laissant apparaître toutes les matières. | Blanc avec de légères traces de texture. | Blanc total. |
Ces zones permettent au praticien d'imaginer avant la prise de vue dans quel gris sera reproduite telle partie du sujet grâce à une série de mesures photométriques des luminances du sujet. Par une modification normalisée du développement standard du négatif, on parvient à déplacer un rendu imaginé dans une zone n dans une autre zone, plus foncée ou plus claire. Les adaptations d'exposition et de développement empiriques auxquelles presque tous les photographes de l'époque se livraient pour obtenir des négatifs tirables – il n'exista pendant longtemps qu'une seule gradation de papier – devenaient ainsi raisonnées.
La méthodologie du Zone System impose d'effectuer un grand nombre de tests pour déterminer le développement standard et normaliser les développements modifiés. D'autre part, le changement d'un seul paramètre dans la chaîne de production de l'image entraîne une nouvelle série de tests pour en re-normaliser les étapes. Enfin il est pris en compte dans les tests de phénomènes non discutés, et dont les effets peuvent varier pour chaque prise de vue, et qu'il convient de maîtriser aussi. Si le Zone System tel qu'il est décrit (1) a pour but de libérer le praticien de toutes notions trop théoriques et mathématiques, nous nous proposons de faire le chemin inverse et de réunir la sensitométrie et les normes établies par les fabricants ou l'ISO. Nous ne doutons pas que les auteurs de cette méthode connaissaient parfaitement la sensitométrie, mais les rapports qu'elle a avec le Zone System sont occultés, à tel point que certains opposent sensitométrie et Zone System, alors que ce ne sont que deux moyens d'obtenir une même maîtrise de la reproduction des valeurs.
La méthode nécessitant un traitement différencié pour chaque négatif convient essentiellement au travail en plans films, et donc avec des caméras techniques dont les facteurs de flare sont faibles (5). D'autre part, comme l'adaptation du traitement aux sujets n'est nécessaire que dans les cas où il n'est pas possible d'adapter l'éclairage, une telle méthode se prête spécialement aux prises de vues en extérieur, en lumière naturelle (lumière du jour). Notre choix s'est donc porté sur un film panchromatique de sensibilité moyenne (6). Nous avons utilisé le révélateur proposé par le fabricant dans une dilution 1+1 améliorant l'acutance. Le choix du papier s'est porté sur un support conventionnel baryté donnant des noirs profonds. La gradation 3 a été retenue à cause de la forme de sa courbe caractéristique proche de l'idéal. Enfin le révélateur positif a été sélectionné pour les hautes densités qu'il confère au papier choisi.
Nous avons d'abord réalisé la méthode du Zone
System comme décrite (1) jusqu'à
l'obtention des conditions de travail présentant un
résultat supposé correct, à savoir : Le temps de
tirage standard c'est à dire lumination minimum du papier pour
obtenir la Dmax. Le papier a été exposé (au
travers d'un film vierge développé posé sur la
feuille de papier afin de tenir compte de la densité optique
du support et du voile chimique) par bandes successives recevant
chaque fois le double d'exposition donnant les durées
suivantes : 2; 4; 8; 16; 32 secondes, l'éclairement
étant de 34 lux. Après interprétation des
premiers résultats dans des conditions d'observation
normalisées (annexe 2), une nouvelle
série d'expositions de 4; 5; 6; 7; 8 secondes a
été effectuée dans les mêmes conditions
pour affiner le premier résultat. Dans les mêmes
conditions d'observation on rechercha visuellement sur ce dernier
échantillon la plage ayant reçu la plus faible
exposition mais présentant la densité maximale en
comparant cette gamme de gris à un échantillon du
papier voilé et développé. C'est la plage ayant
été exposée 6 secondes qui fut retenue. (LogH =
2.3). La sensibilité personnelle du film est la
sensibilité à laquelle il faut utiliser le film pour
qu'une mesure en zone I soit traduite par le premier gris
différent du noir sur le papier lorsqu'on utilise le temps de
tirage standard. Elle est déterminée par une succession
d'essais où l'on fait varier l'exposition jusqu'à
l'obtention du résultat souhaité lorsqu'on utilise le
temps de tirage standard déterminé plus haut pour
l'exposition du papier, dans les conditions d'observation
normalisées mentionnées. (EI = 40). La durée de
développement N est celle qui permet à une mesure en
zone VIII d'être traduite par un blanc avec de
légères traces de texture. Elle est aussi
déterminée par une succession d'essais de durées
de développement variées jusqu'à l'obtention du
résultat souhaité lorsqu'on utilise la
sensibilité personnelle du film et le temps de tirage standard
déterminé plus haut, dans les conditions d'observation
normalisées mentionnées (N = 8 min).
Dans un second temps, nous avons exploité les
sensitogrammes obtenus à l'aide de la gamme de gris Kodak
n°2 dans les mêmes conditions d'exposition et de
traitement que celle trouvées plus haut pour :
La relation entre les plages du Zone System et les courbes caractéristiques des films et des papiers donne ce qui suit : Dans la zone 0 c'est le noir total : C'est le 97% de la Dmax du papier. Sur le film, ce sont les densités comprises entre la densité du support + voile (0.08) jusqu'à 0.22 sur voile, soit une densité brute de 0.3.Dans la zone I on distingue une légère différence d'avec le noir total : Ce sont sur le film les densités autour de la densité 0.3. La lumination de ce point (LogHs = -1.6) permet de calculer la sensibilité du film (0.8/Hs = 35.7; EI = 40) selon la norme ISO 6-1974 (4). Pour le papier cette zone se trouve sur l'épaule de la courbe caractéristique, autour du 90% de la Dmax nette (D = 1.96), valeur justement fixée dans la norme ISO 6846-1983 (9) pour déterminer l'étendue utile des luminations d'un papier. Dans la zone V le gris moyen de densité 0.7 correspondant sur le film à une densité de 0.8. Dans la zone VIII une légère densité est encore perceptible. Sur le papier ce sont les densités autour de 0.04 sur la densité du support + voile, valeur justement fixée dans la norme citée pour déterminer l'étendue utile des luminations d'un papier, correspondant sur le film à une densité de 1.28. Dans la zone IX le blanc total, elle correspond au papier non exposé développé et fixé. Autrement dit c'est la densité du support + voile. Sur le film, la densité (D = 1.44) est trop élevée pour permettre un noircissement du papier lorsque l'exposition est suffisante pour les autres zones.
Fig. 1 : Courbe caractéristique du papier Ilford Multigrade FB gradation 3 (ISO R 100) développé 3 minutes dans Tetenal Neutraltyp 1+9.
Le point a correspond à la lumination au point de densité 0.04 sur la densité du support plus celle du voile chimique. LogHa = 0.965.
Le point b correspond à la lumination pour obtenir le 90% de la Dmax nette. LogHb = 1.94.
La différence entre les luminations des points a et b correspond à l'étendue utile des luminations Δ LogHb-a = 0.97.
Le point c correspond à la lumination minimum pour obtenir la Dmax. LogHc = 2.5.
Fig. 2 : Courbe caractéristique du film Ilford FP-4 Plus développé 8 minutes dans Ilford ID-11 dilué 1+1 et correspondance avec les zones.
La différence de densité ∆D = 0.98 correspond à l'étendue utile des densités du film. Cette différence permet de calculer l'étendue utile des luminations du papier (gradation) à l'aide du facteur Q.
La différence de densité ∆D = 0.24 représente l'écart de lumination entre le 90% et le 97% de la Dmax du papier (entre la fin de la zone 0 et la zone I). La lumination du film en ce point permet de calculer sa sensibilité utile pour ce papier. (LogHs = -1.6).
Le choix des densités dans les zones I et VIII ont une importance décisive sur l'étendue utile du papier et par conséquent sur la reproduction des valeurs et sur la sensibilité utile du film. Par conséquent, les conditions d'observation du produit final doivent être bien normalisées (annexe 2). La différence entre les luminations produisant le 97% de la Dmax et le 90% de la Dmax nette du papier (∆D = 0.24) correspond à la densité nette du point qu'il faut utiliser pour calculer la sensibilité du film. La lumination nécessaire pour obtenir cette densité est plus élevée que celle fixée dans la norme pour obtenir la densité minimum exploitable (La densité nette du point de sensibilité est fixé à 0.1, alors que la différence de lumination à l'épaule se situe entre 0.2 et 0.7 LogH pour un grand nombre de papiers, ce qui implique une perte de sensibilité utile de 0.3 à 2 IL selon le papier utilisé et les conditions d'observation). La forme de l'épaule de la courbe caractéristique du papier a donc une influence décisive sur la sensibilité utile du film. Afin de pouvoir exploiter l'étendue totale des densités du papier, il faut généralement obtenir des négatifs dont les densités sont sensiblement plus élevées, donc plus fortement exposés qu'à l'accoutumée, ce qui revient à dire que la sensibilité utile d'un film donné est généralement diminuée par rapport à sa sensibilité nominale. Le contraste des négatifs reste normal, mais parfaitement adapté à l'étendue utile du papier, les temps de développement des films sont donc assez proches de ceux préconisés par les fabricants. L'étendue utile du papier correspond à celle que l'on trouve selon le calcul proposé par la norme ISO concernée. Le temps de tirage standard correspond à la lumination minimum pour obtenir le 97% de la Dmax dans les parties claires du négatif. Un papier dont l'épaule de la courbe caractéristique est courte autorise une sensibilité de film plus élevée, permettant de placer les ombres sur le pied de la courbe caractéristique du film assurant un bon échelonnement des valeurs, alors qu'un papier à épaule longue diminue la sensibilité utile du film et déplace les valeurs vers des densités trop élevées (ombres bouchées). La température de couleur de la source de lumière et plus encore la durée de l'exposition ont un effet déterminant et marqué sur le contraste et la sensibilité du film. Il faut donc porter une attention toute particulière à ces deux points.
Sensitométrie et Zone System sont en accord. Le vocabulaire et les méthodes changent, les intentions sont les mêmes. Le Zone System affranchit le photographe des connaissances théoriques et exploite au maximum les capacités des matériaux photographiques en prenant en compte les caractéristiques des appareils utilisés (Lumières diffuses ou Flare Factor, effet Callier, imprécisions absolues et relatives des appareils). Elle permet d'autre part de bien connaître son propre matériel et ses ressources, et de visualiser les possibilités des matériaux sensibles. La sensitométrie analyse séparément chaque caractéristique du matériel sensible et des appareils et rationalise les interventions ultérieures, elle permet donc d'arriver rapidement, mais par le calcul, à une efficacité identique. Grâce aux courbes caractéristiques, il est possible de modifier n'importe quel paramètre de la chaîne de reproduction sans devoir refaire tous les essais, mais uniquement ceux qui concernent le matériau modifié, et d'adapter les autres paramètres en fonction des résultats. D'autre part, comme on analyse séparément chaque élément qui influence le résultat, on acquiert une plus grande connaissance de leur rôle respectif.
1. Test pour le contrôle de l'éclairage inactinique.
Si la feuille présente une différence de densité entre la partie couverte par le carton et le reste, c'est que l'éclairage de laboratoire n'est pas adapté à la sensibilité du papier (puissance et/ou distance des lanternes, couleur ou qualité du filtre, fuites de lumière des lanternes, de l'agrandisseur, de la chambre noire).
2. Conditions normalisées pour l'observation des phototypes.
La perception visuelle d'un échantillon est influencée d'une part par l'état d'adaptation de l'œil, qui lui même dépend de niveau d'éclairement, et d'autre part par le champ environnant l'échantillon (10). Nos conditions d'observation – qui furent inspirées par la moyenne des conditions habituelles d'observation – sont les suivantes :